Des députés qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez

Les jours passés (fin octobre 2014), 2 députés du PS (Socialiste, républicain et citoyen) ont posé une question écrite au gouvernement concernant ce qu’ils appellent un « manque à gagner » de plusieurs centaines de millions d’euros pour l’état.

Ces questions sont étonnantes et révélatrices. Je dirais même affligeantes. Elles montrent bien comment ces personnes censées nous gouverner (comprendre « servir les citoyens que nous sommes ») sont complètement à côté de la plaque.

La même question pour 2 députés

Les questions sont en fait identiques, postées à 1 semaine d’intervalle. Elles sont visibles sur le site de l’assemblée nationale : questions n°67005 par Mme Sylviane Bulteau et n°67529 par M. Jacques Cresta.

Voici le texte :

Mme Sylviane Bulteau interroge M. le ministre des finances et des comptes publics sur la concurrence que constituent certains sites d’annonces gratuites, notamment pour les professionnels de l’immobilier qui considèrent que celle-ci s’exerce de façon tout à fait déloyale, et même au détriment de l’État, en laissant s’installer un marché parallèle de l’immobilier. En effet, lorsqu’une transaction immobilière est réalisée par l’intermédiaire d’un professionnel, ce dernier pratique des honoraires qui sont assujettis à l’impôt (TVA). Ce qui n’est naturellement pas le cas dans le cadre d’un arrangement entre particuliers. Le principal site internet d’annonces gratuites en France, accessible sans inscription préalable, propose environ 260 000 annonces. Si l’on considère une somme moyenne de 6 000 euros HT sur ces transactions, à laquelle on applique 20 % de TVA, on obtient 312 millions d’euros environ de manque à gagner pour l’État. La vente de particuliers à particuliers s’est donc indéniablement « professionnalisée » grâce aux nouvelles technologies. Aussi, elle lui demande quelle est la position du Gouvernement à ce sujet et s’il envisage de réglementer ces nouveaux usages.

Pourquoi 2 députés posent-ils la même question ? Le texte est identique à la virgule près. Je vois plusieurs explications :

  • Le texte a été rédigé par une tierce personne et envoyé à plusieurs députés pour être soumis. Cette tierce personne étant ce qu’on appelle un « lobby », probablement de l’immobilier dans ce cas.

  • Ces députés sont connectés télépathiquement.

  • C’est le hasard, lire à ce sujet le Paradoxe du singe savant (non, je n’insinue pas ici que les députés sont des singes, je ne crois pas que cette explication soit la bonne).

Pourquoi avons-nous 2 députés qui posent la même question ? Tant qu’il n’y aura pas plus de transparence de leur part, nous ne le saurons pas avec certitude.

La création de valeur

Mais quel serait donc le « problème » identifié par ces 2 députés ? Il y aurait un énorme manque à gagner pour les agences immobilières qui perdent des clients : les particuliers qui utilisent des sites web de petites annonces gratuites pour entrer en contact pour acheter ou vendre un appartement, une maison, etc. Ces particuliers ne passent plus par les agences immobilières pour entrer en contact, mais réussissent à s’en passer en entrant en contact directement, via un site web. La pudeur de ces 2 députés leur fait masquer ce manque à gagner des agences immobilières par celui de l’état, moindre.

Revenons un peu sur ce qui se passe lors d’une transaction immobilière, prenons un exemple : Jean vend son appartement à Sophie, pour la somme de 95.000 €. L’agence immobilière qui les a mis en relation peut prendre une commission de 8%. Elle va donc toucher 7.600 €. Presque 8.000 € juste pour mettre en relation ? Dans bien des cas, c’est exactement ça qui se passe. Parfois l’agence immobilière apporte un réel service, comme de la recherche, du conseil, etc. Mais HUIT MILLE EUROS ??? Si on prend un peu de recul, il faut vraiment un sacré bon service pour justifier une telle somme. Pendant des années de nombreuses agences immobilières se sont littéralement gavées avec ces commissions qui sont exorbitantes et infondées aux yeux des particuliers, il est donc logique qu’on s’en passe quand on peut. Si le prix facturé était à la hauteur du service rendu, les choses ne se passeraient pas ainsi.

Résumons : des clients trouvent un moyen de se passer d’intermédiaires pour effectuer des transactions plus efficaces.

Ils n’ont racketté personne, ils n’ont maltraité aucun chaton, ils n’ont violé aucune grand-mère, ils ont juste court-circuité un intermédiaire qui ne leur apportait aucune valeur ajoutée. Elle est pas belle la vie ? Mmm ?

Forcément, ça ne plaît pas aux intermédiaires en question. Ils estiment même que c’est déloyal, et ils viennent pleurer dans les jupes de l’état en essayant de lui faire croire que lui aussi y perd. Mais est-ce vraiment le cas ?

Non l’état n’est pas perdant

Dans cette histoire, les agences immobilières gagnent clairement moins que ce qu’elles pourraient (j’y reviens plus tard), mais l’état perd-il vraiment de l’argent ?

Non. L’argent ainsi économisé par l’acheteur sera dépensé ailleurs, par exemple en loisirs, nourriture, meubles, travaux d’aménagement, etc. L’état touchera donc sa TVA de toutes façons, ne vous inquiétez donc pas pour lui MM les agents immobiliers députés ^_^

Alors oui, dans quelques cas, il n’y a pas d’économie : la baisse du coût total de transaction permettra à certains d’accéder à la propriété alors qu’ils n’auraient pas pu le faire. Et nous avons 2 députés PS qui s’en inquiètent ? J’avoue qu’il y a un truc qui m’échappe, là…

Que devraient faire les agences immobilières ?

Plutôt que de pleurnicher sur un soi-disant manque à gagner, elles devraient se mettre à la place de leurs clients et bien comprendre quel est leur rôle, à elles. Quels services sont-elles censées apporter aux particuliers achetant un appartement ou une maison ? Quelle est la valeur réelle de ce service ? Est-ce que ce service vaut vraiment plus que celui apporté par un site de petites annonces gratuites (avec options de quelques euros) ?

Grâce aux nouvelles technologies, il est possible d’être plus efficace dans bien des domaines. Au lieu de lutter contre ces améliorations inéluctables, il faut les adopter, les adapter et en profiter pour apporter encore plus de valeurs aux clients, au lieu de les considérer comme des vaches à lait captives.

Que devraient faire les députés ?

Tout d’abord revoir leur calcul : 312 millions d’euros est probablement exagéré, car ça prend en compte les annonces publiées, alors que les ventes doivent être moins nombreuses.

Ces quelques dizaines ou centaines de millions d’euros n’étant pas une perte pour l’état mais juste un transfert dans un autre pan de l’économie, ils pourraient par exemple s’attaquer aux domaines où il y a vraiment une perte. Par exemple l’évasion fiscale optimisation fiscale. Mais ce serait plus de boulot qu’une simple petite question idiote au gouvernement…

Ce n’est pas limité aux agences immobilières

Cette situation n’est bien sûr pas limitée aux agences immobilières, beaucoup d’autres secteurs y sont confrontés. Tous les secteurs où il y avait un intermédiaire incontournable facilement remplaçable par un site web doivent se faire du souci : maisons de disque, banques, etc.

Nos députés ne doivent pas tomber dans le piège du manque à gagner pour l’état : il n’y en a pas ! Ce que l’état ne touche pas d’un côté, il le touchera de l’autre. Ces entreprises doivent s’adapter au monde qui change.

Lire à ce sujet :

Mise à jour : Sylviane Bulteau a répondu aux commentaires que sa question et celle de son collègue ont soulevés. Cette réponse est visible ici sur Contrepoints, et magistralement analysée.

Ce contenu a été publié dans économie, société. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *