La première partie de cet article explique et rappelle le bitcoin, passez directement à la suite si vous connaissez déjà.
Introduction : la dématérialisation
Avant de vous parler du bitcoin, voici une petite intro :
Vous connaissez la dématérialisation ? Le terme vous est peut-être inconnu, mais vous connaissez le principe : ça consiste à passer du physique au virtuel. Exemples :
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de la feuille de papier au fichier informatique ODT ou DOC
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du CD au fichier MP3
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du DVD au fichier AVI
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du livre au fichier PDF ou EPUB
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etc.
Jusqu’où peut aller ce passage du physique au virtuel ? Peut-on TOUT dématérialiser ? Une tasse, par exemple : c’est un objet physique, donc non dématérialisable, pas de doute. Et pourtant, la frontière n’est pas toujours évidente :
Si vous voulez une nouvelle tasse, vous devez aller la chercher dans un magasin, ou bien vous la faire livrer. Pas moyen de simplement la télécharger sur internet avec votre ordinateur ? Si si, c’est possible, mais une fois téléchargée il vous faudra l’imprimer avec une imprimante 3D. Ce n’est pas encore tout à fait faisable par tout le monde, ni très pratique. Mais ça vient, de nombreuses personnes y travaillent.
La dématérialisation s’accompagne souvent d’une décentralisation. Cela signifie qu’il n’y a tout simplement plus besoin d’un intermédiaire plus ou moins centralisé et obligatoire. Dans les exemples ci-dessus : l’imprimeur, la maison de disque, le producteur du film, la maison d’édition. Une fois dématérialisé, vous et moi pouvons facilement produire, dupliquer, modifier, distribuer ce qui est virtuel. Le plus souvent avec un simple ordinateur et une connexion internet, en toute autonomie.
Et l’argent dans tout ça ? Est-il physique ou virtuel ? Les premières pièces de monnaie étaient bien physiques : en or, argent, cuivre, bronze ou même coquillages. Et s’il y a bien une chose qui soit centralisée dans notre monde, c’est l’argent, contrôlé par les états et leurs banques centrales.
Et même si notre argent est de plus en plus virtuel, un simple nombre stocké dans l’ordinateur de notre banque (en gros), il est toujours hyper centralisé, très contrôlé.
Mon introduction est terminée : nous pouvons maintenant parler du bitcoin : une monnaie virtuelle et décentralisée.
Qu’est-ce que le bitcoin ?
Le bitcoin est récent, sa définition est assez élastique. Prenons la définition de Wikipedia :
Bitcoin est une monnaie électronique distribuée (crypto-monnaie). Elle permet le transfert d’unités appelées bitcoins à travers le réseau Internet. Les bitcoins ainsi échangés ont vocation à être utilisés en tant que devise monétaire et comme moyen de paiement dans cette devise.
C’est une définition trop simple pour être complète, nous y reviendrons plus tard pour être plus précis.
Le premier usage, donc : une monnaie. Comme les francs, les euros, les dollars, etc. On peut se faire payer en bitcoins pour la vente d’un bien ou d’un service, et inversement on peut l’utiliser pour nos achats. Voilà.
C’est tout ? Non bien sûr. De nombreuses questions surgissent alors :
1. Où je les stocke ? Dans mon tiroir ? Dans une banque ?
Vous vous rappelez de mon intro, sur la dématérialisation et la décentralisation ? On est en plein dedans : vous les stockez dans un fichier, sur le disque dur de votre ordinateur ou la mémoire de votre smartphone. Tout simplement. Plus de pièces ou de billets, juste un fichier wallet.dat.
2. Mais si je perds mon fichier, je perds mon argent ?
Oui, comme quand vous perdez une pièce ou un billet, c’est pareil. Cette fois-ci il va vraiment falloir penser à faire des sauvegardes, votre fichier wallet.dat aura plus de valeur que le dernier MP3 téléchargé ou le dernier épisode de votre série préférée.
3. Comme tous mes fichiers (ODT, JPG, MP3, etc.), je peux les copier coller et en créer d’autres, alors ?
Non, sinon ça n’aurait aucun intérêt comme monnaie, qui doit par définition être difficile à fabriquer (comme l’or qu’il faut extraire puis travailler, ou les billets de banque très compliqués à imprimer). C’est à ça que servent les termes “crypto” et “distribuée” dans la définition ci-dessus. Le système est conçu pour qu’un bitcoin ne puisse être qu’à un et un seul endroit (là encore j’ai simplifié, en réalité c’est un peu plus complexe). Pour plus de détails, voyez ici comment marche le bitcoin.
4. Concrètement, comment ça marche ?
Un simple logiciel installé sur votre ordi ou votre smartphone permet d’envoyer et de recevoir des bitcoins, et c’est très facile.
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Pour recevoir des bitcoins : communiquez votre adresse de réception (vous pouvez en avoir autant que vous voulez).
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Pour envoyer des bitcoins : entrez le montant et l’adresse du destinataire.
C’est tout, ça ne prend que quelques secondes. Pas besoin d’aller dans une agence bancaire, d’attendre quelques jours à cause des dates de valeur, d’attendre un jour ouvré, etc. Pas d’intermédiaire : les bitcoins envoyés sont reçus quasi-instantanément (et confirmés quelques temps plus tard).
Rien de vaut un bon exemple : si vous voulez m’envoyer des bitcoins vous pouvez le faire à cette adresse :
1icJUc3TzeHqiaxhFJadY28rrskrMKYUW
Encore plus simple : flashez le QR code suivant :
5. Si c’est aussi simple, ça peut servir aux trafiquants de drogue !
Heu… ben oui, comme les monnaies classiques. Dans ce domaine comme dans d’autres, la virtualisation et la décentralisation simplifient les choses. Une plateforme de vente de drogue utilisant des bitcoins a d’ailleurs récemment été démantelée : Silk Road.
Virtualiser une monnaie ? Quelles conséquences ?
Si les techniques qui sont derrière Bitcoin vous intéressent, vous trouverez énormément d’informations sur internet. Mais vous pouvez vous en passer autant que la technique derrière les formats de fichiers ODT, MP3 ou PDF : on peut tout à fait les utiliser sans être expert. Ce n’est pas le but de cet article, je vais donc passer les difficultés techniques pour m’intéresser aux aspects pratiques, légaux, sociaux.
Sur le principe, c’est simple :
On peut maintenant virtualiser et décentraliser une monnaie aussi facilement qu’un livre, une chanson ou un film.
Et si vous avez un peu suivi ce qui s’est passé quand l’échange de musiques et de films est devenu facile grâce à internet, imaginez un peu ce qui va se passer avec la monnaie ! Le MP3 et l’AVI, avec les protocoles d’échange (peer-to-peer, torrent, streaming, etc.) ne gênent “que” les majors. C’est quand même assez anecdotique, il n’y a pas de quoi déclencher une 3ème guerre mondiale. Avec le bitcoin, on parle des banques et des gouvernements ! Les implications ne sont plus du tout les mêmes.
L’Histoire se répète : encore une fois, des intermédiaires jusqu’ici indispensables deviennent obsolètes. C’est positif pour tout le monde sauf eux bien sûr : les utilisateurs ont plus d’autonomie, plus de contrôle. Le système devient plus efficace, moins coûteux. C’est bon pour notre pouvoir d’achat, l’argent économisé ici pourra servir utilement ailleurs. Mais bien sûr, ils ne vont pas se laisser faire. La Banque de France a d’ailleurs publié un communiqué de presse fin 2013 pour crier au monde que le bitcoin est dangereux, mais sans préciser que c’est pour elle qu’il est dangereux. Pas pour vous, au contraire !
La virtualisation, accompagnée de sa décentralisation, est déjà un progrès, comme on l’a vu auparavant pour les autres technologies (1000 chansons dans la poche sur un lecteur MP3 de la taille d’un paquet d’allumettes, ou des centaines de livres sur une tablette de 700gr, etc.). C’est plus pratique pour soi, et ça permet en plus d’autres usages. Pour le bitcoin, quels peuvent bien être ces autres usages ? En voici quelques exemples :
- Virements à plus de 2 participants. Traditionnellement, quand on fait un virement bancaire, c’est entre 2 comptes : un émetteur et un récepteur. Point. Avec Bitcoin, on peut imaginer un virement avec plusieurs émetteurs et un récepteur, le virement n’étant finalisé que quand tous les émetteurs ont envoyé l’argent. Pas besoin de passer par un intermédiaire qui fera les vérifications et qu’il faudra rémunérer. Exemple : vous décidez, avec 2 amis, de louer un gîte pour les vacances. Chacun paie un tiers de la somme en bitcoins, directement au propriétaire du gîte : la transaction ne sera définitive que si les 3 paiements sont effectués. Si un seul fait faux bond, alors tout est annulé, automatiquement. Sans frais.
- Levée de fonds : vous voulez récolter de l’argent pour un projet, qui ne pourra se faire que si vous levez un minimum de fonds. Des plateformes de crowdfunding existent, mais ce sont des intermédiaires qu’il faut rémunérer, et la gestion de centaines ou milliers de dons n’est pas évidente. Avec Bitcoin, on pourra effectuer une telle levée de fonds facilement : elle ne sera effective que si la somme requise est atteinte dans le temps imparti, sinon elle sera automatiquement annulée. Exemple : vous organisez une opération humanitaire, pour laquelle il vous faut 10.000 euros dans les 2 mois, et vous lancez un appel aux dons. Chacun peut donner ce qu’il veut, librement. Avec Bitcoin, vous indiquez le montant à obtenir et la date limite. Chacun donne, et si la somme est atteinte avant la date butoir, les transactions sont confirmée et le résultat vous parvient. Au contraire, si la somme n’est pas atteinte quand on arrive à la date limite, alors les bitcoins sont retournés à leur propriétaire.
- En gros, on peut « programmer » ces opérations, avec toute la souplesse qu’offre l’informatique et la puissance qu’offre le réseau (internet). Les possibilités sont multiples, et la réalité de demain dépassera ce que nous pouvons imaginer aujourd’hui.
Au final, c’est une bulle ou une révolution ?
De nombreuses personnes clament haut et fort que c’est une bulle, qui éclatera. Peut-être, mais ce n’est pas mon avis. Je suis persuadé que la technologie à la base de cette monnaie virtuelle n’est que la base, que le début d’une multitude d’outils qui restent à inventer.
Il faut voir Bitcoin comme une technologie nouvelle, balbutiante. Un peu comme les débuts du web, un des protocoles les plus connus d’internet. Quand le web a fait ses premiers pas, au début des années 1990, qui aurait pu prédire les outils que nous avons actuellement, comme Facebook, Twitter, les ENT, les outils Google comme Gmail, Gdrive, etc. ? Tous ces outils sont basés sur le web, mais ils sont aux premières pages web ce que le dernier monospace est à la deudeuche 😉
La monnaie virtuelle, avec ses bitcoins, n’est qu’une des nombreuses possibilités qu’offre la technologie Bitcoin.
Certains ne voient les bitcoins que comme un moyen de spéculer : acheter pas cher, revendre cher. C’est la facette la plus médiatisée (selon vos sources d’information bien sûr, je parle ici des médias sans journalistes qui réfléchissent grand-public).
Il y a également une part de confiance. Il ne s’agit plus de confier quelques textes ou musiques à une nouvelle technologie, mais de l’argent. Le risque est donc plus grand, mais les gains également. Quand je parle de gains, ici, je parle d’efficience et de simplicité dans notre vie de tous les jours, d’indépendance par rapport à des organismes qui abusent parfois (souvent) de leur position (les banques).
Les banques et les états laisseront-ils faire ? Pas au début, non. Ils commenceront par combattre cette technologie, mais sa mise en place est inéluctable. L’histoire le montre en permanence : quand une nouvelle liberté est gagnée, c’est pour toujours. Il peut y avoir des reculs, mais ils ne sont que temporaires : reculer de 2 pas pour avancer de 3, c’est toujours avancer.
Conclusion
Comme toute nouvelle technologie, le Bitcoin ne s’imposera que s’il est adopté, que si les utilisateurs lui font confiance. Une chose est sûre, il en a le potentiel. Nous n’en sommes qu’aux premiers pas de cette nouvelle technologie, dans quelques années nous l’aurons tous dans la poche et nous nous demanderons comme nous faisions avant.
Annexe
Les puristes crieront au scandale à la lecture de cet article, où je mélange Bitcoin (le protocole) et les bitcoins (la monnaie). Si vous voulez creuser ces notions, voici quelques liens :
Ping : Les bitcoins en pratique | Yann C.
Ping : Il n’y a rien ici | Cactux et Linux